« Toute organisation non seulement emprisonne les forces furieuses et dévastatrices qu’elle nourrit, mais aussi nourrit les forces furieuses et dévastatrices qu’elle emprisonne. »
E. MORIN
La « seconde cybernétique » (1) nous montre que le changement s’effectue selon des modèles circulaires et non plus linéaires d’interaction. Elle remplace la causalité mécaniste (x responsable de y) par l’étude des relations de causalité mutuelle qui amplifient les déviations (x et y considérés comme conséquences de leur appartenance au même système de relations circulaires).
La rétroaction positive en rend compte. Elle explique la différenciation des systèmes complexes et signe les débuts du questionnement sur leur comportement auto-éco-organisateur (2). Elle décrit la manière dont un système autonome et au comportement auto-éco-organisateur est co-responsable, dans son interaction avec l’environnement, du processus de construction de la réalité (3), laquelle devient lisible en termes de paradoxe (4). Elle est « accentuation, amplification, accélération d’un processus par lui-même sur lui-même » (5).
Alors que la régulation « ordonne » les processus antagoniques — lesquels vont supposer et appeler la rétroaction négative (6) — la rétroaction positive, elle, « signifie non seulement la désorganisation, mais le déchaînement de la désorganisation » (7). Elle se révèle ainsi comme « l’énergie du monde » (8).
Divers exemples peuvent illustrer la rétroaction positive et ses effets.
Les conséquences d’une panique s’irradiant de proche en proche dans une foule. Ou l’histoire célèbre du courtisan persan ayant fait présent à son souverain d’un échiquier et lui demandant, en échange, d’être gratifié d’un grain de riz pour le premier carré de l’échiquier, de deux grains pour le deuxième carré, de quatre grains pour le troisième carré et ainsi de suite. Le souverain ayant marqué son accord, il s’avéra que le dixième carré représentait 512 grains, le quinzième carré 16 384 grains. Bien avant d’arriver au soixante-quatrième carré, toutes les réserves de riz du pays étaient épuisées (9).
Ou bien la fente dans le rocher par laquelle l’eau peut s’infiltrer, geler, agrandir l’anfractuosité, par laquelle s’engouffre de plus en plus d’eau, jusqu’à permettre à des micro-organismes de s’accumuler et à une graine de devenir arbre, lequel peut s’entourer d’une végétation (10).
Ou encore une plaine dans laquelle s’installe un constructeur automobile, attiré par le faible coût du terrain. Pour diverses raisons de commodité, les travailleurs vont occuper les alentours, de plus en plus nombreux. Des activités connexes, une école, des magasins, une poste, une mairie, un bureau de police, des édifices de culte vont tout en même temps s’édifier. Vu la collectivité en présence, un hypermarché et un centre commercial ouvrent leurs portes et ainsi de suite jusqu’à transformer la bourgade en véritable ville. Des processus de rétroaction négative (11) vont entrer en interaction avec les processus de rétroaction positive, générant un comportement d’auto-éco-organisation et permettant ainsi l’émergence de l’autonomie du vivant (12).
De par la causalité mutuelle (13), l’Incertitude est prépondérante puisqu’il est impossible de prédire les « causes qui causent des causes à causer des causes » (14).
« … L’être spiralé qui se désigne extérieurement comme un centre bien investi, jamais n’atteindra son centre. L’être de l’homme est un être défixé. Toute expression le défixe. Dans le règne de l’imagination, à peine une expression a été avancée, que l’être a besoin d’une autre expression, que l’être doit être l’être d’une autre expression. »
G. BACHELARD
Dans un cas, c’est la rétroaction négative qui prévaut et sauvegarde la stabilité du système, imparablement éphémère à partir d’un point d’instabilité qui la contrecarre, et où tout pattern d’évolution redevient possible.
Dans un autre cas, c’est la rétroaction positive qui prévaut et entraîne l’éclatement des agencements du système jusqu’à un point où une rétroaction négative arrime à nouveau le système dans une nouvelle stabilité, immanquablement éphémère et contrecarrée elle aussi.
Dans certaines conditions, c’est la rétroaction évolutive qui prévaut. Dans ce cas, le système est poussé loin de son équilibre de départ, tout en maintenant encore une partie de ses paramètres initiaux. Le système est mis temporairement dans un état de déséquilibre qui l’amène à s’interroger sur lui-même.
A partir de quoi, il peut resurgir dans un état différent. La rétroaction évolutive se différencie ainsi de l’homéostasie stabilisatrice (rétroaction négative) et de l’amplification erratique (rétroaction positive).
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