Essai de modélisation de la pensée complexe prenant appui sur le parcours labyrinthien et le vécu dédaléen inhérent à tout individu et organisation
MYSTERIEUSE ETYMOLOGIE DU MOT LABYRINTHE[1]
Les plus anciennes représentations du labyrinthe datent probablement du IIIe millénaire av. J.-C. Au mot, il est attribué de multiples origines parmi lesquelles :
a. le radical la exprimant l’idée de coupe dans le roc ;
b. le mot grec labrys (double hache) et le suffixe préhellénique inthos (maison) ;
c. le mot fondé sur la racine Or-Our (gigantesque en indo-européen), d’où le labyrinthe aurait désigné préambulairement un « pattern de grosses pierres » ;
d. laburinthos (jeu du poisson pris au piège dans une nasse) ;
e. de labor intus : le travail étant une punition issue de la désobéissance des hommes, le labyrinthe évoque la voie à parcourir afin d’atteindre le salut ;
f. une référence aux symboles du Grand Œuvre à réaliser ; en Alchimie, il s’agit d’entrer dans le labyrinthe pour en sortir transformé au cours du voyage de retour.
TENTATIVE D’UNE TYPOLOGIE DES GENRES, DES TRACES, DES FORMES LABYRINTHIENNES
Une des typologies des plus célèbres est celle de SANTARCANGELI [2] :
— Selon qu’ils aient été ou non l’œuvre de l’homme, on parlera de labyrinthes naturels, artificiels et mixtes ou encore de labyrinthes fortuits, accessoires et intentionnels.
— Selon le nombre de voies, on parlera de labyrinthes monopériples ou polypériples.
— Selon le tracé, on distinguera les labyrinthes géométriques et irréguliers ; à schéma fixe, irrégulier ou mixte.
— Selon la forme du parcours, on dira qu’un labyrinthe est à tournants rectangulaires, arrondis ou mixtes.
— Selon la forme occupée par le parcours sur le plan, le labyrinthe sera qualifié de rectangulaire, de circulaire ou d’une autre forme.
— Selon la conception générale du dessin, il sera question de labyrinthes symétriques ou mixtes.
— Selon la relation entre la somme du parcours et la surface occupée par celui-ci, le labyrinthe sera considéré comme compact, diffus ou mixte.
— Selon que l’on considère le centre, le labyrinthe sera a-centrique, mono- et polycentrique.
— Selon l’espace occupé, on dira d’un labyrinthe qu’il est bi- ou tridimensionnel, aux embranchements simples ou complexes.
Si on excepte les labyrinthes dansés — où au cours d’une farandole on s’échappe du monde inférieur — et les labyrinthes écrits, une autre typologie[3] est celle qui distingue leurs contenants et leurs contenus.
- Genres de labyrinthes comme contenants :
— tridimensionnels
* naturels (de type grotte)
* construits
* mixtes (ceux figurant dans les jardins)
— bi-dimensionnels (décorations en surface)
* de type monumental (cercles de pierre, pavements…)
* de petite taille (type Visby, à spirale…)
b) Genres de labyrinthes comme contenus :
— plusieurs parcours possibles,
— à parcours unique.
Par rapport aux tracés labyrinthiques[4], citons ceux :
— des pictogrammes sumériens,
— des hiéroglyphes égyptiens,
— des écritures crétoises,
— des hiéroglyphes hittites,
— des pictogrammes de la Vallée de l’Indus,
— des pictogrammes de l’Ile de Pâques,
— des pictogrammes de l’écriture runique,
— des pictogrammes de l’écriture chinoise,
— des écritures précolombiennes…
Par rapport aux formes labyrinthiques, pensons :
— à la svastika (linéaire, aux extrémités soudées…),
— à l’assemblage de la croix à deux dimensions et au carré né de la juxtaposition symétrique de quatre croix,
— aux ovales formant la base d’une structure à rhomboïdes concaves,
— aux signes dualisés,
— au tressage,
— aux plans superposés,
— aux illusions d’optique…
Rappelons aussi l’éternelle question : une image identifiée comme représentation est-elle innée ou doit-elle, au préalable, être vécue avant d’être intériorisée dans l’inconscient sous forme de souvenir ?
A moins que l’on ne puisse, comme le prétend BACHELARD[5], « n’étudier que ce qu’on a d’abord rêvé », telles des « mailles dans une toile d’araignée »[6], les drames mythiques qu’il véhicule liaisonnent, en les opacifiant, localisations, personnages, récits et rituels.
Citons pêle-mêle, en guise de localisations, les aires culturelles de la Méditerranée et tout particulièrement la Crête, les Nouvelles-Hébrides, la Patagonie, l’Inde, le Tibet, l’Europe et spécialement l’Angleterre et la Scandinavie, les territoires occupés par les Zoulous…
Comme personnages et récits, évoquons Thésée, le Minotaure[7], Ariane, Dionysos, Dédale, Icare[8], le cheval de Troie…
Comme rituels, rappelons les rites crétois, le Zoroastrisme, le Mithraïsme et jusqu’au Zarathoustra-Dionysos ressuscité par NIETZSCHE[9]…
« La carte précède le terrain. »
J. BAUDRILLARD
A suivre…
Ann DEFRENNE-PARENT
[1] BERESNIAK D., Le labyrinthe, image du monde, Paris, Detrad, 1996.
[2] SANTARCANGELI P., Le livre des labyrinthes, Paris, Gallimard, 1974.
[3] VERBRUGGE A.-R., L’énigmatique secret des labyrinthes, Marne-la-Vallée, Dervy-Livres, Revue Atlantis, 1991, 365.
[4] FRUTIGER A., Des signes et des hommes, Denges, Editions Delta et Spes, 1983.
[5] BACHELARD G., Psychanalyse du feu, Paris, NRF, 1965.
[6] MAUSS M. Œuvres complètes, Paris, Karady, t. II, 1969.
[7] Dans le jeu de l’oie, une forme dégradée du voyage initiatique de Thésée, l’oie remplace le Minotaure.
LHOTE J.-M., Le symbolisme des jeux, Paris, Berg International, 1976.
En thérapie familiale, existe un jeu de l’oie systémique permettant de « réécrire l’histoire dans laquelle s’inscrit le drame familial ». Il évoque un lien protégé : les affrontements y sont évacués au profit de la découverte.
CAILLE P., REY Y., Les objets flottants, Paris, ESF Editeur, 1994.
[8] « Icare échoue du fait de la présence du soleil (…) : l’être est l’échec du sens (…) et c’est le sens qui échoue dans l’être (…). A la fin, il n’y a plus que la lumière. Icare n’atteint ni n’éteint le soleil. »
COMTE-SPONVILLE A., Traité du désespoir et de la béatitude, t. I et II, Paris, PUF, 1991-1992.
[9] NIETZSCHE explique cette herméticité dans la mesure où « l’homme labyrinthique » — comme il se qualifiait volontiers lui-même — est celui qui s’enfonce toujours davantage dans d’incessants méandres, vers « ce qui n’a plus d’assise ni de tête » (BACHELARD G., La terre et les rêveries du repos, Paris, Corti, 1980), afin d’accéder à la « vérité radicale ». KREMER-MARIETTI A, L’homme et les labyrinthes, Paris, Union Générale d’Editions, 1972.